CHAPITRE 36 - La guerre 1939/1945 - TÉMOIGNAGES

La guerre 1939/1945 racontée par les habitants

 

Témoignage de Mme et Melle RESSENCOURT

                Mon mari a été mobilisé le 2 septembre 1939. Il est revenu le 20 septembre 1940. Blessé par une balle en portant secours aux victimes pendant les combats du 26 août 1944, il a été transporté par une jeep canadienne vers un hôpital de Caen. Deux mille blessés avaient été regroupés dans cette ville. Se souvenant qu'un cousin connaissait un avocat de Caen, mon mari a réussi à le contacter. L'oncle de cet avocat était chirurgien. Grâce à ce médecin, la jambe de mon mari n'a pas été amputée. Mon mari est revenu à Bourgtheroulde sur un brancard deux mois plus tard. Il a été rappelé le 1er mai 1945 dans la 1ère Armée Rhin et Danube.

En juin 1940, Nicole et moi sommes parties de Bourgtheroulde, en compagnie d'une cousine, avant l'arrivée des Allemands. Notre automobile avait été volée. Nous avons pris le camion de notre magasin de grains. Nous sommes arrivées à Angers. Réfugiées dans un hôtel, nous avons été bombardées. Nicole, âgée de trois mois, a été retrouvée sous un escalier, sans une égratignure. Plus tard, j'ai fait jurer à ma fille de ne jamais revenir à Angers ! Nous avons été recueillies par des cousins à Longny, un petit village de l'Orne, caché dans un creux. Les avions ne pouvaient pas le voir. Notre cousine ne voulant pas rester, nous sommes descendues à Sainte Croix de Vie (Vendée). Sur la route, nous avons récupéré une cousine qui avait perdu son automobile. Les Allemands sont arrivés. Nous sommes rentrées à Bourgtheroulde.

Le bombardement du 9 juin avait détruit en partie le magasin : plus de carreaux, de porte. Pendant toute la durée de la guerre, la porte a été remplacée par de simples morceaux de bois. Les Allemands ont réquisitionné le premier étage de la maison. Ils interdisaient de fermer les portes.  Nous n'avions pas d'eau, d'électricité. Nous nous éclairions avec des bougies fabriquées avec les restes des cierges de communion. J'ai obtenu un bon de chaussures. Je suis allée à la mairie. On m'a donné une paire taille 36 pour Nicole qui avait… 6 mois ! Le chocolat, distribué parcimonieusement grâce aux tickets de ravitaillement, était immangeable. J'ai interdit à Nicole d'y toucher. A la libération, quand les Canadiens ont offert du chocolat aux enfants, Nicole a refusé d'en manger !

 

Témoignage de Mme Jeanne HAYS née LEROUVILLOIS

           Originaire des Authieux sur Calonne, près de Pont-l'Evêque (Calvados), je me suis mariée en 1936. J'avais 19 ans. Je suis venue habiter Bourgtheroulde avec mon mari en 1938. Nous occupions la maison située au carrefour de la Grande Rue et de la route de Thuit-Hébert (*n°17, rue de Thuit-Hébert). Mon mari travaillait chez M. Noyelle. Il construisait des chariots. Il a été mobilisé en octobre 1939. Pendant l'exode, le village voyait passer des réfugiés. Nous tentions de les aider. Avec Robert Dannetot, nous transportions des lessiveuses emplies de soupe dans le garage de la route de Brionne (*actuels ateliers municipaux) pour les réconforter et les alimenter du mieux que nous le pouvions.

Le 9 juin 1940, quand Bourgtheroulde a été bombardée, je me suis enfuie à Boissey le Châtel chez mes beaux-parents. J'ai eu la présence d'esprit de prendre mon sac à main et mes papiers. Je suis revenue dans l'après-midi. J'étais tellement affolée que je suis passée sous une « Traction ». Miraculeusement, je n'ai pas été blessée. Ma maison était détruite, il ne restait rien à l'intérieur. Tout était brisé. Le buffet ressemblait à une passoire. Je n'ai retrouvé qu'un gobelet de première communion. Il était fendu. Je l'ai conservé.  Je suis revenue chez mes beaux-parents. Nous nous sommes réfugiés aux Authieux sur Calonne, chez mes parents. Mon père, blessé de la guerre 1914/1918, était amputé d'un bras. Il était maire de sa commune.

Mon mari a été porté disparu. Je suis restée chez mes parents. Après treize mois de silence, j'ai reçu une carte de prisonnier. Mon mari me donnait enfin de ses nouvelles. Il était dans un camp à la frontière tchécoslovaque. Il travaillait dans un port sur le Danube. Il a tenté de s'évader et a été repris. Il a été condamné au cachot. Ce qui ne l'a pas empêché de recommencer, sans succès. Il n'est rentré qu'en juin 1945. Mon beau-père est décédé le lendemain de son retour : il attendait son fils. Aux Authieux sur Calonne, j'ai participé au sauvetage d'aviateurs alliés. J'ai aidé à cacher plusieurs parachutistes. J'ai enterré un Canadien, aidée de mon père, seul au courant de mes activités. C'était très dur. L'endroit était très dangereux : le train de Goering était caché dans le tunnel entre Pont-L'Evêque et Honfleur.

Je suis revenue à Bourgtheroulde avec mon mari. J'avais 25 ans. Nous avons habité route de Berville. Puis nous sommes partis vivre à Boissey le Châtel. M. Jacques Rafin m'a aidée dans mes démarches pour percevoir des dommages de guerre. Ils étaient bien modestes. Je n'étais pas propriétaire.

 

Témoignages de MM. Robert et Jacques DANNETOT

            En juin 1940, pour arrêter les Allemands, nous avons participé à la construction d'une barricade érigée à l'aide d'une cuisinière, d'une machine à coudre et de sacs de maïs trouvés dans le magasin de grains de M. et Mme Ressencourt. La barricade s'élevait à la hauteur de l'actuel magasin Pionnier (*151 Grande Rue). Auparavant, nous avions aidé à l'évacuation des habitants du village. Puis, nous sommes partis à Bosc Regnoult. Les Allemands étaient sur nos talons et ont envahi le village. Nous sommes rentrés à Bourgtheroulde : le magasin de notre père avait été pillé.

La Kommandantur s'est installée dans le Manoir du Logis. Les troupes de la Wehrmatch occupaient Bourgtheroulde. Les S.S. étaient cantonnés au Gros-Theil.

Le docteur Hochart consultait route du Neubourg. Sa maison était située après l'actuel cabinet immobilier. Deux Allemands faisaient régulièrement des rondes dans Bourgtheroulde. Un jour, le docteur Hochard invite à boire les deux sentinelles de service. Il les enivre. Le brigadier de gendarmerie Sthelin, qui parlait allemand, a réussi à emprisonner les deux pauvres bougres jusqu'à leur dégrisement ! Nos parents étaient tenus de loger des Allemands, comme beaucoup de Thérouldebourgeois. Le premier était professeur de français à Cologne. Il nous a donné son adresse. Nous ne l'avons jamais revu. Il est parti à Berlin, puis sur le front russe où il a été tué. Nous avions quelquefois un Allemand, parfois deux, à loger. Pendant l'hiver 1942, nous avons été réquisitionnés pour enlever la neige tombée sur le village. La hauteur atteignait au moins 80 centimètres. Il a fait entre moins dix-huit et moins vingt pendant quelques jours. Nous n'avons pas été payés. Les Allemands nous donnaient un peu de café pour nous réchauffer. Jacques : en 1944, j'ai été à nouveau réquisitionné pour creuser des trous de deux mètres de profondeur sur trois mètres de long, tous les trois mètres, le long de la route, de la mairie jusqu'à la gare de Thuit-Hébert.

Nous avons survécu grâce à nos élevages de poules, de lapins. Nous allions glaner. Une dizaine d'Allemands occupaient la cour des Quatre-Nations (*entrée avant n°144 Grande Rue). Il y avait aussi des prisonniers marocains, algériens, tunisiens qui allaient travailler dans les fermes pour l'armée allemande. Nous leur donnions du pain que M. Bourbette, boulanger, nous offrait. Pendant l'occupation, nous n'avions pas le droit de fermer la porte de notre magasin. Nous regagnions chaque soir la maison du chemin de Bosnormand. Mon père prit l'habitude de dormir dans l'immeuble de la quincaillerie après le Débarquement des Alliés, excédé par les vols répétés commis dans le magasin par les  occupants.

Nous avions creusé une tranchée, en zigzag, dans le jardin de la maison du chemin de Bosnormand, ainsi qu'une autre dans la cour de la quincaillerie, surmontées d'un plancher et couvertes de terre, pour nous protéger d'éventuels bombardements..A l'aube du  26 août 1944, le régiment Hohenstaufen occupe le front : Bourgtheroulde, Bosc Roger en Roumois, Elbeuf. Les Canadiens arrivent, repérés par les Allemands qui se trouvent dans le château Keller. Le combat s'engage. Les résistants sont présents dans le bourg. Albert Hachette est tué par un éclat d'obus devant la maison de M. Lhôpiteau (*55 route de Brionne). Mon père, qui se battait à ses côtés, est blessé. Réfugié dans les sous-sols de la maison voisine, il est transporté par une ambulance canadienne vers un hôpital de Caen. Deux Canadiens sont tués en face de l'hôtel du Cheval Noir. Un commando de deux cents Canadiens est bloqué au Bois Givard. Des combats à l'arme blanche ont lieu devant l'actuelle entreprise Zolli (*Route de Rouen). Les Allemands reprennent la moitié du bourg. Un canon allemand est dissimulé dans la longère (*maison normande) route du Neubourg. Des rafales d'obus sont tirées vers seize heures. Nous avons compté environ  cent obus en dix minutes. Notre mère est blessée, projetée par la déflagration. Elle est soignée par les Canadiens. Il y en a une centaine dans la cour, armés de mitrailleuses. Un Allemand se rend. Un autre demande à un jeune d'environ dix-sept de le faire prisonnier.Le 27 août, un Allemand, blessé aux jambes, dissimulé dans une tranchée route de Montfort, tire et tue plusieurs Canadiens. Il est abattu.

Pendant la bataille, un bébé vient au monde. La mère est assistée par trois docteurs : un Allemand, un  Canadien et un Français.

 

Témoignage de M. PIMONT 

J'avais sept ans à la libération. Au début de la guerre, nous habitions Rouen que nous avons quitté après les premiers bombardements. Ma mère, mes deux sœurs et moi, nous nous sommes réfugiés chez nos grands-parents paternels, Raymond et Mathilde Pimont, qui résidaient rue des Fossés à Bourgtheroulde, dans leur maison au toit d'ardoises. Nous y avons vécu de 1940 à 1947.

Mon père était prisonnier à Nuremberg, en Allemagne, après avoir été mobilisé. J'avais deux ans quand il est parti. Je ne le connaissais pas… Je n'ai pas le souvenir de bombardements sur Bourgtheroulde en 1940. Quand nous sommes arrivés, les Allemands avaient déjà établi le bureau de la kommandantur au château Keller (*la kommandantur était en réalité installée au manoir du Logis).

Je ressentais l'absence de mon père. Je suis allé à l'école en 1941. J'avais quatre ans. J'ai chanté « Maréchal, nous voilà ! ». La photo du maréchal Pétain était dans toutes les classes. Il y avait trop d'enfants. Une classe a été installée au-dessus de la salle des fêtes (*après la guerre). Les Allemands faisaient des rondes pendant le couvre-feu et donnaient des coups de crosse dans les volets d'où filtrait une lumière.  Il y avait de nombreux Allemands à Bourgtheroulde. Les relations avec eux n'étaient pas désagréables. Ils avaient très certainement reçu l'ordre d'être corrects. Je n'ai pas eu connaissance d'arrestations. Dès avril 1942, nous sommes allés au cinéma une fois pas mois. Prix des places : 5, 6 et 7 francs. Nous écoutions la BBC en cachette. (* BBC : radio anglaise qui émettait le soir, en français, diffusant des messages codés destinés à la Résistance. La veille du 6 juin 1944, « Les sanglots longs des violons… » annonça le débarquement sur les côtes normandes). La population de Bourgtheroulde était d'au moins 2.000 habitants, dont 1.200 à 1.300 réfugiés.

Avec l'école, nous ramassions les doryphores dans les champs de pommes de terre. Ma mère faisait des colis chez M. Rafin, maire. Ils étaient envoyés aux prisonniers français en Allemagne. Le maire les faisait transiter par la Kommandantur ? Le courrier était censuré à la poste, les mots barrés par la Kommandantur. La retraite des Allemands s'est faite pendant une journée. Leurs chars défilaient dans Bourgtheroulde sur deux files. Auparavant, des V1 (*bombes volantes dirigées vers l'Angleterre) sont passés au-dessus du bourg. L'un d'eux est tombé dans la forêt de La Londe, laissant cent mètres de diamètre de bois rasés, jonchés de morceaux d'éclats.  Pendant l'exode allemand, Elbeuf a été bombardé un dimanche. Nous avons aperçu les parachutes des occupants des avions anglais touchés. Les avions étaient entourés de fumée. Il y a eu plusieurs passages d'escadrilles de bombardiers par vagues. On voyait brûler Rouen. Le hurlement de la sirène nous prévenait des bombardements. Nous sommes sortis une ou deux fois des classes pour aller dans les tranchées qui se trouvaient, je le suppose, dans le pré de la ferme du Logis, voisin de la mairie.

Avant la libération, nous avons été conduits par M. Boursetier à Bosguérard pour nous mettre à l'abri car le bourg était devenu dangereux. Nous avons été suivis par un avion anglais qui a tiré sur la ferme où nous voulions nous réfugier. Elle était occupée par des allemands. J'ai bien vu le pilote. Quand nous sommes revenus à Bourgtheroulde, j'ai vu deux soldats allemands morts. Le premier, route de Berville, dans le fossé, tué par balles. L'autre, après le cimetière, près de son char retourné. Il était habillé en noir avec des écussons « tête d'or ». Les combats pour libérer Bourgtheroulde ont duré plusieurs jours. Il y a eu des batailles de chars. Installé dans le clocher, un Allemand dirigeait le tir de ses compatriotes. Il a été délogé par des Canadiens et exécuté hors de l'église. Vingt fantassins canadiens environ ont été tués. Nous étions à l'abri dans une tranchée, relativement confortable, qui se trouvait dans un terrain situé route du Neubourg, à l'embranchement de la rue de Bosnormand. Nous étions sept personnes à profiter de ce refuge : mes grands-parents, ma mère, mes deux sœurs, M. et Mme Depierre et moi. Dans la propriété où se trouvait la tranchée, il y avait des chars canadiens qui tiraient des obus. Pendant une accalmie, un jeune homme est venu nous dire que nous pouvions sortir sans danger. Très contents, car nous étions engourdis, nous avons quitté la tranchée. Cinq minutes plus tard, les obus tombaient à nouveau. Nous avons été plaqués au sol devant la maison par les soldats canadiens et avons retrouvé la tranchée un par un. Ce sauvetage a été accompli avec précision, les soldats minutant chaque évacuation avec leurs montres, entre deux tirs. Nous étions sains et saufs. Un canadien m'a donné des bonbons pour me réconforter. J'en avais perdu le goût…

Le curé de Bourgtheroulde a fait sonner les cloches de l'église à la Libération.

Les Canadiens nous ont inondés de nourriture. L'intendance se trouvait au château de Bosbénard- Commin. Les gosses du village faisaient des tours de jeep offerts par les Canadiens. Nous faisions la queue pour obtenir du pain chez les deux boulangers. Nous le recevions en échange de tickets. Il était gris. Les Canadiens nous ont donné du pain blanc. Il y a eu des distributions de gâteaux vitaminés et de lait.  Nous avons vu défiler des convois entiers de véhicules amphibies pendant plusieurs jours.

Le théâtre cherchait des figurants. J'ai joué dans « La porteuse de pain ». La Libération a été euphorique. Les fenêtres étaient ornées de drapeaux. Je ne me souviens pas de règlements de compte à cette époque. Ils ont été sans doute discrets et concernaient surtout ceux qui avaient pratiqué le marché noir.  Nous avons profité des parachutes retrouvés pour confectionner des chemises. Ma mère a découvert dans la maison de la rue des Fossés une grenade à manche allemande. Il y a eu de nombreux accidents provoqués par les munitions abandonnées. Beaucoup d'enfants ont été blessés.

Le maire, M. Rafin, prévenait les familles du retour des prisonniers.

Nous sommes allés chercher mon père, libéré, à la gare de Rouen, rue Verte. Il arrivait de Nuremberg où tout avait été rasé, sauf une usine d'optique qui fabriquait des lentilles, même pour les Américains ! Une personne de Bourgtheroulde avait eu la gentillesse de nous conduire. J'ai enfin connu mon père. Il a travaillé quelques temps chez M. Verrier, menuisier.

 

Témoignage de M. Michel VERLANT, petit-fils d'Albert VERLANT, garde-champêtre de Bourgtheroulde

Lors du premier bombardement de l'armée allemande en juin 1940, nous étions chez mon grand-père Albert Verlant, garde-champêtre, dans son logement de fonction situé dans la mairie de Bourgtheroulde. Alertés par le son de la sirène des pompiers, nous nous sommes réfugiés dans le pré de la ferme du Logis dans une tranchée creusée parallèlement au mur arrière de la mairie. Le père MONNIER, prêtre du village, s'y trouvait aussi et priait. Ma grand-mère, très pieuse, récitait son chapelet, la tête appuyée sur le dos du brave curé. Mon grand-père avait été « oublié » dans la mairie et enfermé. Ce qui ne l'a pas perturbé : il avait fait Verdun ! Quand nous avons pu sortir, j'ai vu un malheureux cheval blessé, agonisant dans la mare de la ferme. Nous avons fui. J'étais âgé de quatre ans et avais la rougeole. Nous n'avons pas dépassé Bosguérard de Marcouville. Recueillis par M. Deleu, nous avons passé une partie de la guerre chez lui.

Mon grand-père avait une chienne, Rita, de race berger allemand. Elle était bonne gardienne et n'aimait sans doute pas les uniformes. Deux Allemands se sont trouvés bloqués sur le palier intermédiaire de l'escalier monumental de la mairie. Ils n'osaient pas bouger. Ils auraient pu l'abattre. Ils ont attendu que mon grand-père donne l'ordre à Rita de les laisser passer. Il éprouva une frayeur rétrospective : il se demandait s'il n'allait pas avoir des ennuis…

Le champ de pommes de terre situé derrière l'actuelle gendarmerie était infesté de doryphores. Les écoliers étaient tenus de les ramasser. Nous faisions cuire du pain dans un four qui se trouvait derrière le pilier du portail de la ferme du Logis.

En 1944, après un bombardement, ma tante Marthe Verlant et Melle Barbé, membres de la Défense Passive, sont allées récupérer des voyageurs à la gare de La Londe. Le réseau ferroviaire ne fonctionnait plus.  En août, l'armée allemande se replia. Les SS investirent Bosguérard de Marcouville. Ils firent la fête pour oublier une défaite qu'ils sentaient imminente. Une tranchée proche servit de refuge aux civils.

Après la guerre, nous avons retrouvé des postes de radio, saisis par les Allemands, dans le grenier de la mairie.

 

Témoignage de M. Maurice BENOIT

             Je suis entré comme apprenti électricien chez M. Duclos, à Bourgtheroulde. J'y suis resté jusqu'au début de la guerre.

                En juin 1940, les Allemands investissent la commune. Ils constatent le pillage des magasins bombardés. Pour faire un exemple, ils font défiler les voleurs sur la place de la mairie. En 1941, je me blesse à la main. Les docteurs Guérin et Hochart me soignent. Ce qui n'empêche pas la gangrène de s'installer. Je suis envoyé à l'hôpital d'Elbeuf. Le petit doigt de ma main droite est coupé.  Les Jeunesses hitlériennes commandaient aux anciens. J'étais inscrit à la chambre des métiers. Les Allemands consultaient les fichiers. En 1942, j'ai été convoqué pour passer une visite à Beaumont le Roger. J'ai montré ma main bandée, l'amputation de l'auriculaire. Le docteur allemand m'a affirmé qu'il y avait de très bons médecins dans son pays… J'ai été mis dans un wagon de chemin de fer à Beaumont et envoyé directement à Paris, puis en Allemagne, où je suis arrivé le 23 novembre.  Je me suis retrouvé à Witten, en Wesphalie, où je faisais de l'entretien électrique et du dépannage dans une usine qui fabriquait des pistolets pour les mines à charbon. Je travaillais huit à dix heures par jour,  quelquefois à trois cents mètres de profondeur, les mineurs qui extrayaient le charbon à sept cents mètres. Je n'avais pas de nouvelles de ma famille, peu de nourriture. Un Allemand, ancien prisonnier à Laon pendant la guerre 1914/1918, cachait des tartines dans un placard à mon intention. A la fin de la guerre, l'usine a été bombardée à plusieurs reprises.

Je suis rentré à Bourgtheroulde le 5 mai 1945.

 

Témoignage de M. Hervé RAFIN

En mai 1940, nous sommes partis à Ingrandes sur Loire (Maine et Loire) où mon père, Jacques Rafin, maire de Bourgtheroulde, avait loué une maison pour mettre sa famille à l'abri des bombardements. Nous y sommes restés jusqu'en septembre. La moitié de la population de Bourgtheroulde fut accueillie par la commune d'Ingrandes dont le maire était M. Jumontier. Chacun y parvint en automobile, en camion, en voiture à cheval, à bicyclette… Mon père est rentré à Bourgtheroulde pour assumer ses responsabilités. Notre maison avait été pillée. Nos jouets n'avaient pas été épargnés. Ce qui n'avait pas pu être emporté avait été détruit.

             Reçu à la Kommandantur installée au manoir du Logis, mon père a assisté à la convocation d'un soldat allemand par un officier qui lui asséna un coup de poing.

Un jeune Alsacien incorporé dans l'armée allemande (*appelé comme ses compatriotes les « malgré nous »), qui avait déserté, fut repris. Les Allemands le massacrèrent dans le salon de notre maison de La Poterie, son corps jeté dans une mare proche.

              Mon père offrit des parcelles de terrain aux habitants de la commune pour y cultiver des jardins potagers, indispensables en cette période de grande pénurie.

              Les vitraux de l'église furent démontés avant la guerre et mis en lieu sûr. Ils furent réinstallés après la fin des hostilités.

 

Témoignage de M. Guy MALARD (de Caen)

Souvenirs du F Mobile Labour Group – Le 6 juin 1944, j'habitais Ryes, village situé à trois kilomètres d'Arromanches et j'ai eu la chance d'être libéré par les Anglais dans l'après-midi.Vers le 25 juin, ils enrôlèrent de jeunes bénévoles pour accomplir diverses tâches urgentes. C'est ainsi que furent créés le B et le F Mobile Labour Groups. Je me portai volontaire et fus incorporé dans le F Mobile Labour Group. Encadrés par des sous-officiers anglais, habillés d'un uniforme vert rappelant celui des chantiers de Jeunesse, nous étions chargés d'enterrer les cadavres des animaux morts dans les champs et de stocker le ravitaillement destiné aux civils. Après une dizaine de jours de ce travail éreintant, l'officier qui nous commandait déclara qu'il cherchait un étudiant en médecine pour tenir l'infirmerie. Comme il n'y en avait pas, j'eus l'audace de me proposer en qualité d'étudiant vétérinaire et je devins l'infirmier du groupe. J'avais accès en cas d'urgence à l'hôpital de campagne et les quelques médicaments dont je disposais étaient anglais. En dehors des contusions et problèmes intestinaux, j'ai eu à traiter une épidémie de « gale du pain » qui était en réalité une belle gale sarcoptique. Le traitement consistait à frictionner les malades de la tête aux pieds de benzoate de benzyle.

D'abord cantonnés à Esquay sur Seulles près de Bayeux, nous avons suivi l'avance des armées alliées par Foulognes où nous apprîmes la libération de Paris et Bourgtheroulde. C'est là que j'ai été informé que le concours d'entrée aux écoles vétérinaires aurait lieu en décembre. Il y avait un membre du groupe qui se faisait fort de prédire l'avenir à l'aide d'une boule de cristal. Il avait prévu le retour inopiné de l'un de nous au cantonnement. L'interrogeant sur mon avenir, il prédit que je serais un jour vétérinaire, ce qui me remonta le moral. Du passage à Bourgtheroulde, je garde le souvenir d'un cantonnement dans les dépendances d'une ferme et d'une activité importante en raison des problèmes de santé de certains membres du groupe. Il était temps que je démissionne pour aller préparer le concours.

Soixante ans après, quelle est la part de vérité dans ces souvenirs ? Jean Bullier du centre de recherches sur le cerveau et la cognition écrit dans Science et Vie de septembre 2004 : « Nous vivons dans un monde l'images qui n'est en fait qu'une interprétation de la réalité entièrement fabriquée par notre cerveau ». Et Jean d'Ormesson dans « C'était bien » : « Il est difficile de se rappeler le passé, on rafistole et reconstruit au moins autant qu'on se souvient et souvent beaucoup plus ».

 

 



18/04/2010
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